J'ai longtemps envisagé avant l'ouverture de mon blog, de rédiger un ou plusieurs articles décryptant l'ambiance cauchemardesque dans le monde fantastique pour enfants. Un thème assez rare et ambigu dans jeu video puisque qu'il mélange deux thèmes dont tout oppose; un univers naïf et enfantin entremêlé d'un caractère extrêmement mature, sordide et par moment dépressif. J'ai toujours été charmé devant ce style de jeux proposant une direction artistique à tomber par terre où l'imagination n'a plus de limite. La censure et donc de la sensibilité du jeune public n'étant plus une place préoccupante... sans que cela ne vire non plus à l'horreur à outranceCe style s'inspire très souvent des contes et le thème ouvre un large choix d'ambiances, elle peut être morbide, horrifique, parfois poétique, etc... et bien sûr fantaisiste.

Je ferais de mon mieux pour que cet article ne fasse aucune critiques sur le jeu en lui-même, elle a pour unique but de dépeindre autour de l'univers du jeu en question, de ses influences ainsi que des sujets dont il traite, c'est assez ambitieux je sais mais j'essaierais de ne pas faire un article trop long. Sur ce, bonne lecture.



 

Limbo est ce que je pourrait visuellement appeler un ovni vidéoludique, un des premiers jeux indé, avec Braid, extrêmement rafraîchissant et créatif se démarquant clairement de toutes les productions qui se font alors. Sa principale originalité se trouve dans sa direction artistique simple et recherchée mêlant noir, blanc et différentes teintes grisâtres. Certes le soft n'a pas plut à tout le monde (ce que j'aime les jeux qui divisent le public...) à cause de cet aspect graphique mais aussi de son gameplay très (trop) simpliste pour certains. On aime ou on n'aime pas... 

Notez que mis à part le dernier paragraphe, je ne spoilerai en rien le jeu, je traiterai uniquement de la démo.

 

           Du moins dès les premières secondes du jeu, Limbo se caractérise par une forêt onirique. Elle est calme, le vent caresse l'herbe sur laquelle notre enfant semble être assoupi. Le réveil de notre héros candide est accompagné par des lucioles illuminants ces bois semblant l'accueillir à découvrir ce nouveau monde. Le jeu s'apparente clairement à certains contes fantastiques où la forêt est souvent utilisée comme une scène d'ouverture ainsi que de l'emploi du jeune âge du héros, totalement justifié ici et typique des nombreux contes des frères Grimm.

Mais si le début se rattache à ce qui pourrait faire l'objet d'une aventure apaisante et merveilleuse, le jeu laisse très vite place à un univers malsain, sombre et à tendance apocalyptique. D'ailleurs la transition de ce passage vers un monde hostile se symbolise par la fameuse traversée en bateau. Difficile de ne pas voir une analogie à la traversée du Styx.

Ce moment où notre pauvre petit doit regretter de ne pas pouvoir faire machine arrière...

 L'enfant commence à plonger dans les limbes qui je le rappel, est un lieux où résident les enfants mort non baptisé. Condamnés à vivre dans ce monde qui n'est ni le Paradis ni l'Enfer. Et même si le monde dépeint dans Limbo est plus proche des Enfers, il est loin de la torture mentale qu'aurait pu représenter le néant (et puis cela aurait été difficilement jouable!)

Le personnage (et surtout le joueur) est confronté aux peurs les plus primaires de l'enfance, conditionnant nos craintes d'aujourd'hui pour la plupart d'entre nous. La plus évidente se trouve dans le passage avec l'araignée. Elle représente l'une de nos plus grosses frayeurs pour la plupart. Elle est impressionnante, imprévisible. La scène où l'enfant est ligoté par les toiles de ce cerbère à huit pattes, marque inévitablement la crainte d'être dévoré, le joueur étant incapable d'aider le protagoniste... personne ne viendra vous sauver dans les limbes de toutes manières.

 "Nos cauchemars sont notre âme qui balaye devant sa porte"

Plus subtil, la peur du noir fait également partie des peurs de l'enfance accompagnant le héros tout au long du jeu. Ce noir omniprésent incarne le mystère, l'inconnu, le mal, le deuil...bref des termes extrêmement bien interprétés tout au long de ce voyage. Mais l'enfant n'a pas l'air vraiment terrifié d'évoluer dans ce monde - il ne transmet d'ailleurs aucune émotion - alors qu'il fait souvent des rencontres hostiles, et surtout assiste à des scènes horribles, mais cela semble normal pour lui. Il vit avec, c'est son monde. Ce sont nos peurs, nous joueurs adultes, mais vues et amplifiés par un enfant auquel le jeu vidéo fait le lien entre les deux...

Le premier environnement, la jeunesse de l'avatar et le « boss » du jeu exposent une dimension du conte macabre faisant partie prenante de la structure et de l'atmosphère du jeu. Le soft est présenté comme une histoire continue, sans coupure de niveau et donc sans transition brusque, un peu comme une fable interactive.

Les autres environnements préservent cette hostilité perpétuelle mais de manière différente, la peur s'estompe laissant place à un côté vicelard. On passe d'une forêt à une ville abandonnée où les enfants méchants remplacent les monstres se montrant toujours aussi menaçant. Les êtres vivants font ensuite place aux machines électriques et objets tranchantes dans les zones industrielles où plus aucun êtres vivants ne sont de mise. La plupart des interactions de l'enfant sont souvent synonyme de mort. C'est un enfer pour gosse finalement.

À cela on pourrait interpréter les limbes comme une représentation des souvenirs et des peurs de l'enfant. Ils pourraient être une représentation du monde vécu par l'enfant au cours de sa très courte vie (ceci expliquerai pourquoi le jeu possède une durée de vie si précaire). Son père ou sa mère auraient éventuellement travaillés dans une scierie. Ses escapades en forêt étaient sans doute une libération après avoir passé tout son temps en ville, sous les néons des hôtels et la cruauté des enfants qui le tyrannisaient. L'araignée reflète certainement l'une des premières craintes du protagoniste. Qui sait ? On peut trouver mille explications pour mille détails...

         

           Au niveau de sa direction artistique, le jeu n'est évidement pas le premier de sa catégorie à proposer ce monde noir et blanc. De petits jeux comme Coma ou Feist ont un peu été les précurseurs d'un point de vue thématique et je vous incite vraiment à les essayer.

L'indentité graphique s'inspire dans le noir et blanc façon gothique, d'images brouillées des vieux caméscopes et des téléviseurs ainsi que de l'identité visuelle du film noir.  Le début enfantin et inquiétant du jeu m'a franchement rappelé, comme l'indique le titre de mon article, l'univers de Tim Burton et principalement avec son court-métrage Vincent. Limbo s'inspire aussi du cinéma expressionniste allemand des années 1920 sans doute non pas pour son penchant pour la déformation des personnages, mais pour son parti pris stylistique vision angoissante et pessimiste ainsi que, comme pour le film noir, de l'emploi du clair-obscur, des ses saisissants contrastes d'ombres et de lumières et de ses ambiances pour le surnaturelles.

                       Les silhouettes, le brouillard, les jeux de lumière, l'atmosphère, il y a du potentiel pour en faire un jeu là...

 

Le cabinet du docteur Caligari - 1920

un film que je vous recommande vivement, en particulier à vous les étudiants en art

 

Mais surtout, le jeu empreinte ouvertement à Hedgehog in a Fog. Un des court-métrages d'animation les plus influent au monde (Miyazaki et Gondry s'en sont inspirés pour leurs oeuvres). Le hérisson traverse chaque soir la forêt afin de rejoindre son ami l'ours, mais un soir il semble se perdre à travers le brouillard. Au cours de sa route, la forêt devient dès lors ténébreuse et notre hérisson sera entouré de créatures plus ou moins intimidantes. Difficile de ne pas voir une légère ressemblance avec le synopsis et les éléments de LIMBO. On pourra noter enfin que le hérisson progresse de gauche à droite... de la même manière que les jeux de plate-formes.

  

Quand les images disent plus que les mots...admirez donc ces visuels - 1975


À noter qu'une vidéo démonstrative du jeu à été dévoilée 4 ans avant sa sortie. Cette séquence montre que les bases de gameplay et de level design étaient visiblement déjà installés dans la tête de Arnt Jensen et chose étonnante, le développement du concept de LIMBO à été élaboré dès 2004.

 

         

         Je joins un paragraphe d'une extrême subjectivité puisque je vais causer de l'ambiance sonore.  Je ne vais cependant pas parler de son OST, trop discrète pour que je puisse en dire quoi que ce soit. J'ai plutôt prévu de vous faire partager les musiques qui m'ont immanquablement rappelé LIMBO. En commençant par ce qui semble être évident; In Limbo de Radiohead ainsi que la majeure partie des albums diptyque Kid A et Amnesiac ma foi vraiment remarquables pour son immersion dans cette ambiance inquiétante.

Il y a de plus ce ton dépressif et lugubre collant absolument bien avec All cats are grey de The CureJe ne sais pas pour vous mais elle retranscrit selon moi mon ressenti lorsque j'ai fini le jeu, espérant avoir un but et y découvrir une « fin » à cette histoire...en vain... La répétitivité de la batterie tournant en boucle me montre sans doute que je me suis égaré, revenant à mon point de départ. Suis-je coincé dans les limbes à tout jamais ? Ou bien définitivement mort ?... non je ne consomme absolument pas de drogue...

Enfin et surtout, I Remember Nothing des Joy Division représente pour moi LE périple de tout ce que le personnage à pu traverser. La structure de ce morceau malsain et angoissant est mêlé à cette ligne de basse lourde, très lourde retraçant la partie mystérieuse et instable du voyage. Et les bruits de bouteilles de verres jetés dans tout les coins de la pièce, mon dieu faites le jeu et écoutez le avec des enceintes, j'ai tressailli plus d'une fois. Jamais je n'ai écouté une musique aussi claustrophobe que celle-ci.

"Get weak all the time, may just pass the time,

Me in my own world, and you there beside,

The gaps are enormous, we stare from each side,

We were strangers for way too long."

  

 

            

          Limbo est un jeu hermétique au niveau de son histoire. Je finirai donc cette article (enfin!!!) en ouvrant une parenthèse sur les suppositions concernant sa fin. Le pitch de départ est d'ailleurs si peu explicite qu'il peu laisser libre court à plusieurs interprétations :

 

« Incertain du sort de sa sœur, un garçon pénètre dans le monde de LIMBO »


L'histoire ne prête pas vraiment de réflexion de prime abord, mais la fin de l'aventure ne laisse pas l'impression que l'on a fait un simple voyage d'un pont A à un point B comme dans un simple jeu de plate-forme classique. Nous savons juste que le frère et la sœur sont morts errant dans les limbes... Mais comment peut-on interpréter ce à quoi nous avons assisté tout au long de notre périple ? Que représentent les environnements, et les personnages que nous avons rencontré?

 

ATTENTION SPOIL. POUR CEUX QUI N'ONT PAS FINI LE JEU OU QUI ONT ENVIE DE LE FAIRE ALLER DIRECTEMENT À LA CONCLUSION

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Les causes de leurs morts étant incertaines, plusieurs spéculations ont étés abordés autour de la fin du jeu. J'ai d'ailleurs trouvé quelques interprétations dans divers forums:

 

  • Certains pensent que le héros traverse (ou tombe) dans une sorte d'eau verticale. En effet, tout comme lorsqu'il meurt noyé le corps se disloque et devient complètement noir foncé. Cela pourrait signifier que le héros meurt à ce moment là, accédant alors au "Paradis", rejoignant ainsi sa sœur en toute sérénité.

  • D'autres prétendent que le garçon est tombé de la cabane et entre dans un coma si profond que son esprit pénètre dans les limbes. Cela justifierait alors pourquoi la sœur serait munie d'un bout de bois pleurant la mort de son frère, gravant sans doute quelque chose sur son cadavre ou à côté. D'où les mouches à l'écran titre.

  • La plus plausible étant que beaucoup y voient comme un accident de voiture. Le garçons et sa sœur sont morts au cour de cette tragédie, errants dans les limbes. Ce qui expliquerait pourquoi on nous envoie des pneus en flamme tout au long de l'aventure, des changements de gravité montrant les éventuels tonneaux lors de l'accident et enfin pourquoi arrivé à la fin le héros traverserait non pas une eau verticale mais une sorte de vitre géante symbolisant l'éjection de notre héros à travers le pare-brise.

 

...Bref, je ne vais pas tous les énumérer il y en a énormément et parfois de très bonnes.

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Le pitch est par conséquent un choix réfléchi, et le jeu à cette caractéristique de laisser une grande place à l'imagination, d'interpréter librement cette expédition au fin fond des limbes. De la propre voix du créateur, les suppositions qu'il a pu voir sur le net sont beaucoup plus tragiques que ce qu'il aurait pu imaginé.

 

        Ainsi, LIMBO dépeint un monde violent et sadique, psychologiquement troublant aussi bien pour tout enfant errant dans ce monde que pour tout jeunes joueurs osant s'y aventurer. Le jeu fait référence à des peurs primaires, à la mythologie grec ainsi qu'aux codes des contes fantastiques du XIXe siècle. La volonté du soft à rester taciturne du début à la fin se justifie par son atmosphère ainsi que par le dessein de retrouver cet être cher, prenant son sens à la toute fin...laissant le joueur songeur mais libre d'interpréter le jeu comme il le veut. La direction artistique osée expose ses teintes monochromes exploitées avec soin. Ses hommages aux mouvements du 7ème art donnent au jeu une aura incomparable. J'aurais pu m'étendre un peu plus sur la peinture et la photographie mais je crois que vous auriez passer toute la nuit à lire l'article... Bref, Limbo est un bien bel exemple d'un JEU VIDEO, avec un grand J, arrivé à maturité où divertissement et art ne font plus qu'un.


"Ce sont ces limbes, cette frontière entre le monde du tangible et de l'intangible qui sont vraiment le royaume de l'artiste" - Federico Fellini

Bruno Vautrelle - Patis (2006)


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